Splitscreen-review Image de Visages Villages de Angès Varda et JR

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Visages, villages

Publié par - 30 juin 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Visages, villages est d’abord un télescopage. Plus, c’est un carambolage tant le spectre de rencontres improbables est vaste. Il y a d’abord une rencontre générationnelle, donc temporelle. Celle de deux artistes dont l’une des expressions communes est la photo. Agnès Varda et JR. JR et Agnès Varda. Puis il y a un échange multiple de regards croisés. Regards qu’ils portent respectivement sur leur travail, sur le monde, sur la France, sur leurs souvenirs respectifs, sur leurs découvertes et sur eux bien sûr. Et la démarche se prolonge puisqu’il est aussi question d’accepter le regard des autres sur soi ou sur le monde, celui produit par un paysage humain qui est le socle de ce que la France est, a été et sera demain. Et les deux compères de se laisser pénétrer d’un éclairage nouveau sur ce qui se dissimule derrière les apparences de ce qu’ils incarnent. Ainsi se révèlent d’insoupçonnables pensées ou se ravivent des souvenirs enfouis. Enfin, puisque le cinéma se nourrit de promenades à travers le temps et l’espace, Visages, villages se laisse envahir d'un questionnement sur le principe de spatialité au sens topographique du terme.

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Ces rencontres diverses sont autant de connexions qui concilient le prévisible et l’imprévisible. Malgré leurs allures intempestives, ces collisions avec autrui balisent et définissent in fine le lien qui se tisse et se consolide entre Agnès et JR. Mais cette présence indispensable de l’Autre intervient également dans la construction filmique. L’ambition d’inscrire plus durablement la pensée d’Agnès et JR dans un paysage traditionnellement indifférent aux affaires des hommes passe par un transfert. L’une des idées formidables de Visages, villages, et il y en a pléthore, consiste à établir un lien de réciprocité entre les personnes croisées, rencontrées et l’espace habité par celles-ci. Les lieux sont ce que nous en faisons et conservent, sans que nous ne le sachions, trace de ce que nous sommes ou avons été. S’impose alors l’idée street-art d’imprégner l’espace architectural de la présence humaine.

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Il s’agira de coller des photos géantes sur l’habitat des personnes qui nourrissent le lieu de leur présence et de leur âme. Mais le terme collage n’est pas affaire que de technique. Il faut considérer le principe de collage comme un processus qui excède les limites de l’image pour symboliser ou représenter ce qui réunit l’individu à l’espace et au temps. Le collage tel que mis en scène dans Visages, villages doit s’entendre autant comme une technique que comme une réflexion sur le monde.

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Le terme invite donc à penser à toute forme de juxtaposition, ce qu’est, d’une certaine manière, le cinéma. A travers ses constituants que sont lumière, mouvements ou non de caméra, cadrages, sons, jeu de comédiens, dialogues et autres, une alchimie se produit pour contribuer à la mise en place d’un film. Or, à travers les dialogues ou le commentaire il y a une forme de contradiction qui s’installe. Le texte par définition est antithèse de l’image. Mais ici, dans Visages, villages, de par la composition de l’ensemble, il détermine l’accès à la lecture du film. Car le texte oriente l’attention du spectateur sur différents niveaux de représentation.

Il s’agit de rapprocher des éléments apparemment étrangers les uns des autres sur un plan qui leur est également distinct. L’adjonction de ces éléments (et les échanges parlés y contribuent amplement) provoque des interrogations poétiques qui œuvrent à rapprocher rationnellement les choses, les lieux, les temporalités et les êtres.

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De la disparité nait une forme conjuguée de la pensée et de l’émotion. Succès total. Agnès et JR réussissent le pari fou de se raconter, de raconter leur relation, de dire comment les individus et l’espace deviennent interdépendants, comment passé, présent et futur cohabitent et comment il est possible de repousser les limites de l’instant. A ce propos, le film, de manière absolument remarquable, devient une entreprise de remise en cause de l’éphémère et de la disparition comme pour cette image de Bourdin collée sur un bunker que la marée s’est empressée d’escamoter mais que le film permet encore de voir. Visages, villages nous hante longtemps, bien au-delà de sa durée de projection. Le temps n’a plus de prise sur lui, il n’a plus de fin, le film est là pour toujours. Et c’est tant mieux.

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PS : un grand merci à JR pour avoir réalisé ce que tout spectateur a envie de faire à la fin du film : prendre Agnès dans ses bras.

Crédit photographique : Copyright Le Pacte

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