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Dans un recoin de ce monde

Publié par - 16 septembre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Dans un recoin de ce monde décrit l'histoire de la jeune Suzu. Elle quitte Hiroshima en 1944, à l'occasion de son mariage, pour vivre dans la famille de son mari à Kure, un port militaire. La guerre rend le quotidien de plus en plus difficile, malgré cela, la jeune femme cultive la joie et l'art de vivre. Mais en 1945, un bombardement va éprouver son courage.

Une autre vision de ce monde

À entendre les festivaliers présents au Festival d’Animation d’Annecy cette année, Dans un recoin de ce monde a laissé la Grande Salle complètement bouche-bée, son nom revenant dans toutes les discussions et tous les articles de presse suite à sa diffusion au tout début de l’événement. Bien que le Grand Prix lui échappa au détriment d’un confrère un peu plus léger (Lou et l'île aux sirènes de Masâki Yuasa), il repartit tout de même avec un Prix du Jury ouvrant la voie à une distribution nationale plus que méritée, grâce au travail effectué par Septième Factory. Regret tout de même, si tant est qu’il est encore nécessaire de le prouver, un succès en festival n’est pas synonyme de forte diffusion (une soixantaine de salles sur le territoire).

De 1933 à l’automne 1945, le film nous emmène sur l’avant, le pendant et l’après bombardement d'Hiroshima par les États-Unis. Ce moment critique où la population japonaise perdit brutalement son innocence, où le sens de l'Histoire lui apprit désormais à « supporter l’insupportable » pour reprendre les mots de l'Empereur Hirohito. Une évocation qui fut de nombreuse fois immortalisée au cinéma, de Resnais à Imamura, et surtout en animation par le sublime Le tombeau des lucioles de Takahata Isao. Mais si Dans un recoin de ce monde devait être le parfait complément d’une œuvre préexistante, ce serait bien Gen d'Hiroshima (Hiroshima no Gen) de Masaki Mori. Les deux films sont adaptés d’un manga reconnu, fruit d’une fine recherche historique, et tirent ensemble leur force scénaristique et artistique de l'adoption fidèle du point du vue des civils nippons durant les événements. Gen vit paisiblement à Hiroshima tandis que le port de Kure où vit Urano Suzu, l’héroïne de Dans un recoin de ce monde, est bombardé jour et nuit. Et lorsque la bombe réduira par surprise en cendre la ville au dôme, Suzu assistera impuissante à la capitulation de son pays à quelques kilomètres de là…

A l’heure où le pays, gouverné par  le conservateur Abe Shinzo, retrouve quelques velléités militaristes, il est également de bon ton de constater que le cinéma japonais ne verse en rien dans la carte postale nostalgique (que l’on pourrait appeler « filtre Amélie Poulain »). Bien que la famille dépeinte durant les événements incarne quelques typiques traits de caractères propres à l’époque (la solidarité et le dévouement), les aspects les plus ambigus de cette société ne sont pas évités ou occultés. L’endoctrinement militaire à l’école, l’aveuglement patriotique ou le rôle étroit de la femme constituent autant de sujet abordés sans pudeur, mais sans jugement pour autant. Leur représentation est aussi fidèle que possible, laissant le spectateur libre de se faire une opinion. L'intention est complexe, délicate et l'équilibre dramaturgique peu évident à trouver.

Saisir l’essence même du Japon pré-Hiroshima dans une civilisation insulaire insouciante des enjeux mondiaux, tel est l’objectif affiché par le réalisateur Katabuchi Sano, qui choisit, pour y arriver, d’adapter quasiment plan par plan le sublime manga de Kôno Fumiyo. Loin du seul copier-coller, il y incorpore un souffle de vie via une fantastique leçon de montage, et adopte un rythme narratif propre au cinéma qui transforment son film en effusion d’idées visuelles. En choisissant de conférer à son personnage principale une âme de peintre, Dans un recoin nous propose une autre vision de la guerre et de ses conséquences dramatiques, à travers le prisme de l’œil d'une artiste. Les explosions dans le ciel deviennent tâche de gouache, la perte d’un enfant se vit en storyboard… Tout le potentiel créatif du procédé d’animation se retrouve exploité pour provoquer des émotions et sentiments non par exposition des faits, mais par une mise en scène virtuose et débridée.

Et c’est au détour d’une conclusion poétique que le film restera gravé dans les mémoires des spectateurs n’ayant pas encore eu leur cœur totalement transformé en pierre. Le Japon s’est ouvert au monde et continue sa métamorphose au rythme du temps. Remercions le cinéma de nous offrir des fenêtres vers un autre temps, dans autre recoin de ce monde.

Crédit photographique : Copyright Selecta Visión

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