Déambulation Lumière : J4
Publié par François Vieux - 18 octobre 2017
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
Au moment où le grand public découvrait la dernière Palme d’Or à l’Institut Lumière, en présence de son metteur en scène Ruben Östlund, ma déambulation quotidienne dans le Festival me porte vers deux œuvres diamétralement opposées, et pourtant mues par ce qui crée la magie sur l’écran : une passion.
C’est tout d’abord Jean-François Stevenin, un homme comme on en croise peu dans ce genre de festivités plutôt mondaines, qui fût à l’honneur avec une projection restaurée de son 1er long-métrage : Passe-Montagne. Fraîchement sorti de sa masterclass, qu’il a pris plaisir à faire durer plus qu’il n’en faut, il présenta son film comme il se présente dans la vie : modeste et nature. Un long-métrage qui se veut comme une immersion sans fard ni artifice dans son Jura natal où lui-même et un Jacques Villeret envoûté se retrouvent entourés de comédiens amateurs du cru. Selon Stevenin, retranscrire l’essence de son environnement d’origine était un besoin vital qui le dévorait de l’intérieur et il remerciera toujours Villeret et John Cassavetes d’avoir pu permettre à ce film, complètement en dehors de tous les schémas, d’exister.
Il est peu étonnant de voir Cassavetes associé au projet, tant la manière de filmer les êtres humains de Passe-Montagne peut ressembler à ce que l’américain a pu développer sur Une Femme Sous Influence entre autre. Stevenin aime profondément ses personnages, ces gueules creusées par la vie parlant un patois incompréhensible que l’on ne croise jamais sur grand écran. Le film revêt un caractère proche de l’émission belge Strip-Tease. On y suit deux types pourchassant un projet fou dans une région reculée où leurs rencontres se terminent la plupart de temps par un verre de gnôle dans une auberge jusqu’au petit matin. Libon et Lamensch, les créateurs de Strip-Tease, ont toujours témoigné de leur attachement envers ces personnages hors du temps, contrairement au grand public qui a souvent vécu ces diffusions télé comme une source de moqueries sans fond. Ce fut un peu malheureusement le cas aussi en projection aujourd’hui où une petite partie de la salle aimait à rire d’un vieil homme au fort accent jurassien fatigué et meurtri par le temps. La majorité silencieuse sût probablement apprécier le film, mais c’est un peu triste d’observer ce type de réactions déplacées lors d’un festival de cette qualité.
Et quand on parle passion, qui de mieux que Mario Bava pour l’incarner ? Cet intenable italien au 72 longs-métrages eut également droit à son moment de gloire grâce à une Carte Blanche de Guillermo Del Toro. Bava fut un inarrêtable touche à tout, du film de bande-dessinée (Diabolik) au giallo (Six Femmes pour l’Assassin) en passant par la comédie d’espionnage (L’Espion qui Venait du Surgelé) ou l’horreur gothique (Le Masque du Démon). C'est d'ailleurs l’une de ses œuvres les plus plastiquement marquantes que le mexicain a choisi dans cet océan cinématographique.
Séance nocturne du film de science-fiction La Planète des Vampires donc, souvent présenté (à juste titre) comme le précurseur scénaristique du Alien de Ridley Scott. Un vaisseau dérouté de son trajet initial par un signal émis d’une planète inconnue, son équipage agressé sur ce nouveau territoire hostile, des découvertes de squelette gigantesque d’une race ancestrale ; nous sommes en 1965 et tous les éléments sont déjà là. Un propos confirmé par Gianluca Farinelli, directeur de la cinémathèque de Bologne venu présenter la séance. Aujourd’hui apprécié par le prisme du kitch 60’s, c’est avec plaisir que l’on entend une personnalité telle que monsieur Farinelli vanter les mérites artistiques d’une telle œuvre.
Car si tout transpire évidemment son époque (costume en cuir fétichiste à tomber amoureux, jeu d’acteur et dialogue savoureux), force est de reconnaître que Bava a toujours su, même dans ces productions les plus obscures, faire preuve d’une ingéniosité et d’un talent sans pareil pour créer des images inoubliables. Le film, restauré d’une manière exemplaire grâce à son plus grand fan, Nicolas Winding Refn, propose une transformation à moindre coût de la plus célèbre Salle 5 de la Cinecitta pour en faire un décor spatial aux couleurs chatoyantes et aux effets de profondeur saisissants. Les films de Mario Bava (ancien chef opérateur) sont toujours avant tout des films de couleurs et de lumière et La Planète des Vampires n’y fait évidemment pas exception.
Crédit photographique : Copyright Les Acacias et Copyright D. R.