Splitscreen-review Image de L'assassin habite au 21 d'H. G. Clouzot

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Journal de la Petite Lumière J4

Publié par - 19 octobre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

En plus du cinéma, ce festival est aussi celui des émotions et sentiments divers : curiosité stimulée avec Infernal Affairs et Chungking express, impatience décuplée avec Monte Cristo et euphorie débordante avec Cronos… Aujourd'hui, la méfiance était de mise. Non pas que je redoutais déconvenue, loin de là, mais après avoir vu Le Corbeau de Clouzot, on redoute un peu qu'en allant voir un de ses films, la journée se termine sur une note sombre. Il faut dire aussi que H.G. Clouzot est une figure assez austère voire mystérieuse pour notre jeune génération. Peu d’entre nous semblent avoir vu l'un de ses films et, dans le pire des cas, beaucoup semble même ne jamais en avoir entendu parler.

Lorsqu'ils le découvrent enfin, la tendance est à la suspicion. Ses films, en noir et blanc, structurés par un jeu de lumière hérité de son passage en Allemagne, laissent envisager une œuvre portée sur le drame, bien dans l'air de son temps : l'Occupation puis la France d'après-guerre. Comme beaucoup, après avoir vu une partie de l'œuvre de Clouzot, j'ai pensé que son œuvre était entièrement teintée d'une mélancolie tragique. Mais en allant voir L'assassin habite au 21, force est de constater que j'ai été agréablement surpris.

En 1942, alors qu’il travaille depuis longtemps dans le cinéma, sort L’assassin habite au 21, le premier long métrage de Clouzot.  Dans un premier temps, je m'étonne du ton du film. Loin de la pesanteur ambiante du village dans Le Corbeau, on se retrouve dans une enquête proche d'un roman de gare. Le film est adapté d'un roman policier belge écrit par Stanislas-André Steeman. Un policier nommé Wens et sa femme Mila recherchent un tueur en série nommé Monsieur Durand. Le personnage terrifie Paris car son profil reste difficile à cerner. Les premières minutes du film, étonnantes, adoptent un style « Dark Voyeur ». Nous suivons une victime potentielle qui sera tuée littéralement sous nos yeux.

Pourtant, le film joue sur le terrain de la comédie. Inquiète pour son image, toute la hiérarchie policière demande à ce que l'assassin soit retrouvé dans les plus brefs délais. Chaque échelon demandera à son subordonné de retrouver le criminel en imposant des délais de plus en plus courts.

Le spectacle commence. Les personnages échangent des répliques cinglantes qui font rire la salle entière malgré un vocabulaire daté. La légèreté caractérise les héros de cette histoire. L'attitude décontractée et ironique de Wens ainsi que l'insolence et l'attitude pétillante de son épouse, invitent à nous identifier au duo.

Plus surprenant et révélateur d’un talent hors norme, malgré le financement de la Continental, une maison de production allemande, Clouzot parvient à s'emparer du récit pour y laisser transparaître son regard critique sur la société dans laquelle il vit. La police est montrée comme plus prompte à classer une affaire qu'à découvrir le coupable. L'incompétence et l'hypocrisie semble régner. Les haut-fonctionnaires s'inquiètent plus pour leur carrière et leur image que pour la sécurité des citoyens. Même chose pour les occupants de la pension des Mimosas, centre névralgique de l'intrigue. Les personnages sont dépeints sans concessions, notamment le docteur Linz, qui ne cache pas son admiration pour le tueur, ou encore Vania, infirmière pieuse le jour et….. « Différente » la nuit.

Mais le plus troublant, c'est de s'apercevoir que le film a été approuvé par les producteurs allemands soucieux de remplacer les films américains bannis durant l'occupation, alors que le film s’architecture autour d’un schéma typiquement américain. Il est question du film criminel évidemment. Mais il n’est pas interdit de songer aussi à la Screwball Comedy non plus avec toutes les répliques acerbes et insolentes qui abondent dans L'assassin habite au 21. On assiste donc à un film utilisant des configurations et dramaturgies interdites, ce qui en fait donc, par sa seule existence, une sorte d’ironie suprême et un acte de résistance.

Je n'avais pas autant ri devant un film français depuis longtemps. Moi qui avait renoncé, rebuté par l'avalanche de films prétendument comiques qui apparaissent chaque mois dans les salles, à m'imposer séances de ce type, je me suis finalement pris au jeu d’un humour à la française, presque entièrement basé sur des dialogues acides mâtinés d'arrogance.

Mais la principale leçon à retenir de ce film, c'est qu'il faut des préjugés quant à un auteur et son style. Certes, l'œuvre de Clouzot, par choix de l'auteur lui-même, est volontairement dramatique dans sa globalité. Mais il est difficile d’étiqueter le talent. On ne peut l’assujettir à un champ d’expression, à un domaine, à une catégorie de films. Il ne faut pas confondre Genre et Style. L'auteur, qu'il soit écrivain, peintre, musicien ou réalisateur, semble se déterminer dans sa capacité à s'emparer d'un genre pour y insuffler son style. Une leçon importante quant à ce que doit être un spectateur : un être curieux qui sait faire abstraction de ses aprioris.

Demain sera l'occasion de découvrir quelque chose de complètement différent.

Crédit photographique : Copyright D. R.

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