Obtenir une production au résultat photo-réaliste a longtemps été une obsession, voire une composante incontournable pour les studios d’animations 3D. Pour comprendre cette quête du rendu absolu il faut remonter aux origines de la création d’image assistée par ordinateur. C’est aux États-Unis, en 1972, qu’Edwin Catmull, alors étudiant informaticien, réalisera le premier film d’animation 3D créé sur support informatique. Sobrement baptisé A Computer Animated Hand, cette prouesse technologique servira surtout à promouvoir les bienfaits d'une technologie naissante mise au service de la création artistique. Edwin Catmull devient rapidement un contributeur majeur dans l’évolution du procédé infographique. Embauché par Lucasfilm, son activité principale consiste en la création de logiciels visant à simplifier la modélisation et la conception d’animation 3D. L’objectif étant de s’affranchir du support papier et permettre aux artistes d’interagir avec leur création via le seul outil informatique. Dans les couloirs du géant des effets spéciaux, devenu entre-temps Industrial Light & Magic, il rencontre John Lasseter et fonde à ses côtés, avec l’apport financier de Steve Jobs, le studio d’animation Pixar en 1986. Nommé alors directeur technique, il mettra au point un logiciel de rendu d’images qui servira de base à la création des films du studio : Renderman.
L’aspect, l’esthétique de l’image, son rendu en somme, est une question cruciale dans l’évolution de cet art nouveau. Une recherche qui trouve un écho dans un autre courant artistique qui explose lui aussi dans les années 70 aux États-Unis, l’hyperréalisme. Terme popularisé en 1973 par le galeriste belge Isy Brachot, l’hyperréalisme, à la différence du photoréalisme, tente de s’affranchir du support analogique et concentre sa réflexion sur le principe de création d’une nouvelle réalité. Pendant que Duane Hanson sculpte des scènes de genres empruntées au Pop Art et confronte le consommateur à sa condition, cristallisée dans une hyper-réalité plus que parfaite, Edwin Catmul modélise sa main gauche. Au croisement de l’hyperréalisme et de la technologie, un art nouveau balbutie. Il faudra des années avant que l’animation soit capable de produire une œuvre véhiculant une réflexion aboutie, Pixar en sera le berceau.
Avec la première production du studio, le court-métrage Luxor Jr, John Lasseter choisit de développer un axe qui sera le fondement de toutes ses réalisations, donner vie à des objets en les dotant de caractéristiques anthropomorphiques. Intelligemment, il prend à revers la course au rendu absolument photo réaliste et privilégie l’animation dans son processus de création. Cette décision va lui permettre d’utiliser le meilleur de la technologie à disposition au moment de la conception de ses films pour servir le plus justement son propos sans pour autant tomber dans la démesure esthétique. Comme un artiste se sert d’un outil. Une caractéristique qui va déteindre sur toutes les productions du studio, puisque plus que les personnages, ce sont leurs accessoires et les décors dans lesquels ils évoluent qui prendront cet aspect photo réaliste. Les cheveux de Brave, la maison de Là-Haut, les terres arides de Cars, ou encore l’appétissante cuisine concoctée dans Ratatouille.
Alors que certains crient à la mort créative de Pixar, le studio a pourtant cette année démontré brillamment, et à deux reprises, la maitrise de ses influences hyperréalistes. Le premier, Cars 3, réunit dans la scène du crash de Flash McQueen tout le travail d’équilibre et de transition du monde fictionnel vers le figuratif entrepris par le géant de l'animation. Bascule déjà centrale dans le premier long-métrage de John Lasseter, Toy Story, lorsque les personnages passent de leur état d’être vivant à celui de jouet inanimé. Au cœur d’une énième course sur le circuit de la Piston Cup, Flash McQueen perd soudainement le contrôle du véhicule et part dans un spectaculaire accident de la route. Le plan, au ralenti, est saisissant de réalisme et convoque chez le spectateur un sentiment de malaise et de douleur assez inattendu. Le traitement de la scène rompt brutalement avec le ton coloré et joyeux du film, réduisant le héro à l’état de voiture alors amputée des yeux géants qui lui servent habituellement de pare brise.
Une nouvelle fois, par contraste, le traitement hyperréaliste convoque le réel dans un environnement fictionnel, permettant au spectateur d’atteindre ses propres souvenirs, chemin direct vers l’émotion. Un procédé que l’on retrouve dans le tout dernier film de Pixar, Coco, mais pour la première fois appliqué à un être humain. Habituellement, les personnages humanoïdes des films d’animations répondent à des codes esthétiques spécifiques qui se calquent sur leur personnalité. Le menton proéminent de Mr Indestructible, le front dégarni de l’ancien tueur à gages devenu chef dans Ratatouille, ou encore de manière plus évidente les 5 émotions de Vice Versa, véritables représentations visuelles et littérales de l’état qu’elles incarnent.
Film sur les relations familiales, Coco aborde frontalement le thème de la perte d’un être cher, et plus précisément le souvenir qui en perdure après la mort. Fidèle à la direction artistique du studio, le traitement esthétique du film propose un jeu de textures réalistes appliquées aux décors et à l’environnement, la peau des personnages humains étant elle limitée à une dominante de couleur et de discrètes taches de rousseurs. Il y a pourtant un personnage qui bénéficie d’un traitement particulier et hyperréaliste : l’arrière grand-mère Coco. Immobilisée dans son fauteuil, elle devient malgré elle le réceptacle émotionnel du jeune héros Miguel qui lui confiera tous ses états d’âmes. Une caractéristique qui va submerger le spectateur dans une scène finale de confidences. Soudain, le décor qui entoure les deux personnages se limite à une douce nuance de couleurs chaudes et ocres, les suspendant hors du temps. En gros plan, la main de l’arrière grand-mère posée sur l’accoudoir de son vieux rockin’chair apparaît. Le spectateur, comme il le ferait pour une sculpture, a tout le temps de contempler une peau sur laquelle se dessine les épreuves de la vie, les multiples dénivelés provoqués par les rides, les taches de vieillesses. La main de nos grands-mères. La bascule émotionnelle jusqu’ici appliquée par Pixar aux seuls objets est finalement incarnée par un être humain et ouvre la porte de l’universalité.
Jean Baudrillard définit l’hyperréalisme comme « la situation de quelque chose qui n’a jamais réellement existé ». Miguel et Coco, dans cette scène intemporelle, incarnent l’aboutissement d’années de recherches du studio Pixar, nous permettant et leur permettant de revivre à volonté l’intimité d’un instant cher, et de ne jamais l’oublier.
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