Splitscreen-review Image de Duel au soleil de King Vidor

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Duel au soleil - Carlotta Films

Publié par - 30 mars 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Duel au soleil vient compléter la collection de Carlotta Films intitulée« Ultra Collector ». Le film est un objet curieux produit et écrit par David O. Selznick et tourné par plusieurs metteurs en scène : King Vidor, William Dieterle, Joseph von Sternberg, William Cameron Menzies, Sydney Franklin et Otto Brower.

De ce fait, Duel au soleil est un film hétéroclite qui répond plus aux intentions de David O. Selznick qu'à celles des différents cinéastes impliqués dans le projet. Les variations esthétiques, dues aux différences de style entre les cinéastes évoqués, conditionnent les scènes du film au même titre que les oscillations pulsionnelles des deux personnages principaux. Ce sont ces derniers qui sont au centre des attentions du scénariste/producteur que fut Selznick. La conjugaison de ces deux facteurs explique donc, en partie, pourquoi le film donne cette impression d’instabilité formelle et « plastique ». Ces fluctuations stylistiques contribuent, par ailleurs, à développer une texture filmique qui hésite en permanence entre le drame, le tragique et l’épique et qui emprunte autant au mélodrame qu’au western.

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Duel au soleil témoigne également d’un temps où le producteur est, à Hollywood, le principal acteur d’un projet créatif. Duel au soleil, tourné donc par plusieurs réalisateurs, est le fruit d’une vision unique, celle de Selznick, sur un sujet particulier qui se résume à la relation qui unit le producteur à la star féminine du film, Jennifer Jones.

Duel au soleil c’est l’histoire de Pearl Chavez (Jennifer Jones) qui, après la mort de son père exécuté pour avoir tué son épouse et l’amant de celle-ci, débarque chez de lointains cousins au Texas. Son arrivée fait ressurgir les démons du passé et cristallise toutes les tensions souterraines de la famille qui l’accueille. Les crispations entre les deux frères, Lewt (Gregory Peck) et Jesse (Joseph Cotten), se concrétiseront à travers une lutte fratricide exacerbée par les sentiments qu’ils éprouvent pour Pearl.

Les personnages du film sont rattrapés par une forme d’atavisme familial dont ils sont la citation. Les relations tissées ou détruites par leurs parents définissent et tracent une destinée funeste. Les souhaits, désirs, volontés et ambitions des jeunes générations sont contaminés par le vécu des anciennes et ce qu’elles leur ont légué. Nous retrouvons tout de même dans ces propos une problématique transversale à toute l’œuvre de Vidor, crédité comme réalisateur principal de Duel au soleil. En effet, tous ses films se structurent autour d'un univers où s’expriment des énergies contradictoires, véritables point de départ de la dramaturgie et de la mise en scène.

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D'un point de vue scénaristique, il y a dans les figures présentes sur l’écran un principe d’équilibre relationnel qui sera toujours remis en cause par un tiers. Le trio, lorsqu’il est question du sentiment amoureux, est le révélateur d’une instabilité intérieure des personnages. Si un tiers est accepté dans une relation, c'est parce qu'il est potentiellement porteur d'une qualité qui pourrait combler un manque affectif chez l'un des protagonistes, voire les deux. Ceci reprend des schémas comportementaux qui existent depuis toujours.

À ce titre, on distinguera dans Duel au soleil un schéma narratif emprunté au chapitre IV de la Genèse avec deux frères, Jesse et Lewt, qui transposent les figures d'Abel et Caïn dans la fiction hollywoodienne. Comme dans cet épisode biblique, il y a dans Duel au soleil un personnage plus lucide que l'autre, qui voit plus loin, qui voit au-delà des apparences et qui, par ses actes conscients ou inconscients, tente d’interrompre l’inexorable marche du Destin. Dans Duel au soleil, c’est Jesse, homme de Loi qui aspire à devenir juge et dont les décisions sont systématiquement dictées par un souci d’équité, de morale et même de rationalisme au dépend de toute forme d’affect.

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Jesse est une incarnation de la volonté de l’humain de se soustraire aux malédictions familiales, quitte à passer pour un traître, un renégat. Dans la « trahison » perpétrée à l’égard de son père, par exemple, son attitude dépasse les limites d’une simple émancipation intellectuelle ou filiale. Il est plus judicieux d’y voir une volonté d’annihilation de la mécanique du destin. Mais il est trop tard. Lewt et Pearl sont conditionnés par un héritage marqué par les rancœurs et la haine. La logique ira à son terme. D’autant que tous sont déterminés par un univers qui reflète les différences entre les personnages : frustrations, origines sociales, ethniques. Ainsi, paradoxalement, ce qui distingue les protagonistes les réunit aussi car tous sont, à leur manière, rongés par des frustrations multiples : sexuelles, sociales, morales et/ou spirituelles. Il résulte une insatisfaction globale des personnages qui rejaillit sans prévenir sur leur comportement. À partir de cet instant, Duel au soleil devient un espace d'observation de l’impact des pulsions de tous ordres sur la conscience de chacun.

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D'un point de vue plus formel, Duel au soleil doit une partie de son crédit à la mise en avant de tensions sexuelles encore rarement explorées au cinéma à cette époque. Les différences de traitement des deux personnages principaux, Pearl et Lewt, en fonction des réalisateurs qui ont réalisé tel ou tel plan d’une même séquence, soulignent la complexité des liens entre désir amoureux et acte charnel ou encore entre le féminin et le masculin. À l’image des protagonistes, Eros et Thanatos se rencontrent, s’embrassent dans un ballet sensuel qui, dans le mélange des styles filmiques en présence, témoigne des élans passionnels. Gros plans tournés par Sternberg, plans rapprochés filmés par Dieterle et plans américains tournés par Vidor s’enchaînent dans la logique formelle du film et dans sa continuité narrative. La cohabitation stylistique évoquée en amont est en concordance avec les passions qui animent les personnages.

La dimension érotique du film se mesure dans l’usage du baiser à l’écran. Le baiser dans Duel au soleil est une véritable figuration de l’acte sexuel reprenant à son compte quelques états qui le structurent : désir, surcharge érotique, animalité et abandon dans la jouissance physique et morale. Le duel du titre est donc avant tout celui d’une étreinte physique. Le duel s'incarne dans ce moment où les corps sont soumis à une tension qui ne demande qu’à s’évanouir dans une dimension plus abstraite. Cette abstraction sera d'ailleurs magnifiée par des images évocatrices de l'au-delà de l'extase : le sable du désert, un rocher à forme humaine ou la naissance d’un cactus.

La violence qui balise la trame du film sert d’exutoire érotique parce qu’elle abolit les frontières entre le féminin et le masculin pour instaurer une logique égalitaire : Pearl et Lewt bénéficient d’un traitement filmique qui rétablit un équilibre des forces et désirs en présence. Il suffit d’un fusil dans les mains de Pearl pour constater qu’elle devient l’égale de Lewt, y compris dans son traitement à l'image : échelle des plans et positions de caméra identiques.

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Revoir donc Duel au soleil dans cette très belle copie permet d'approcher au mieux la richesse d'un film qui n'a sans doute pas fini de subjuguer. Car Duel au soleil est un objet filmique unique de par sa conception, ses intentions, ses prestations d'acteurs et sa réalisation. On ne pouvait donc envisager meilleur choix, au regard de son caractère singulier, que de l'intégrer à cette série de coffrets « Ultra Collector » Carlotta Films.

S'il faut vanter les mérites visuels de la copie présentée ici, les compléments ne sont pas en reste. Les deux suppléments consacrés aux comédiens principaux du film sont en tous points captivants même s'ils ne permettent nullement d'accéder à la profondeur de l’œuvre.

Mais chez Carlotta Films, on reste cohérent jusqu'au bout. Si ce n'est pas dans les bonus de Duel au soleil que nous trouverons de quoi sustenter notre soif de savoir, ce sera dans le livre. Et quel livre ! L'ouvrage de Pierre Berthomieu est un modèle d'érudition et de pertinence. L'écriture est fluide et dense. Les chapitres sont cohérents et la qualité de Duel au soleil est sublimée par l'apport des informations analytiques et synthétiques fournies ici. Que dire de plus si ce n'est que le livre en soi mériterait presque l'achat du coffret à lui seul ? Amateurs de cinéma, n'ayez pas l'ombre d'un doute, ce coffret « Ultra Collector » est fait pour vous.

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Crédit photographique : DUEL AU SOLEIL © 1947 AMERICAN BROADCASTING COMPANIES, INC. Tous droits réservés.

SUPPLÉMENTS :

JENNIFER JONES/DAVID O. SELZNICK RACONTÉ PAR DANIEL SELZNICK (18 mn – HD)

GREGORY PECK, LE REBELLE DE SELZNICK DANS "DUEL AU SOLEIL"* (10 mn – HD)

BANDE-ANNONCE ORIGINALE

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"LE TEMPS DES FOLIES : LA FABRIQUE DE DUEL AU SOLEIL" ÉCRIT PAR PIERRE BERTHOMIEU

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