Splitscreen-review Image de La révolte des jouets de Hermína Týrlová et Břetislav Pojar

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La révolte des jouets

Publié par - 4 avril 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Quand on y réfléchit, l’animation précède le cinéma. Les frères Lumière et Georges Méliès n’ont-ils pas finalement appliqué au cinéma ce que l’homme expérimente avec des dessins depuis la Préhistoire ? Faire se mouvoir l’immobile est un rêve de représentation, apparemment universel, qui suscite le merveilleux par un effet que l’on pourrait qualifier de magique. Toutes sortes de techniques ont été mises au point au cours de l’histoire pour cela. Parmi celles-ci, il y a le théâtre de marionnettes. Voir des objets inanimés prendre vie par une volonté propre, relevant de l’illusion, réussit à créer cette contradiction mentale faisant naître l’émerveillement. C’est de cela qu’il retourne dans ce programme de films courts distribué par Malavida et intitulé La révolte des jouets.

L’animation s’est développée en amont du cinématographe (lanterne magique, thaumatrope, folioscope, zootrope, phénakistiscope, praxinoscope, etc.) puis, parallèlement au cinéma car répondant au même fantasme. Le principe a vécu dès les origines du cinéma une expansion dans de nombreux pays tels que la France (Pauvre Pierrot d’Émile Reynaud 1892) puis, plus tard, aux États-Unis (Walt Disney) et même en Europe centrale avec des pays comme la Tchécoslovaquie ou la Russie. Bien que peu connu du grand public occidental, le cinéma d’animation d'Europe de l'Est a été, pendant la première moitié du XXème siècle, on ne peut plus prolifique tout en offrant une approche différente du film due à un contexte social et politique plus tourmenté. Les trois courts-métrages distribués par Malavida sous le nom de recueil La révolte des jouets, nous montre un moment charnière dans l’histoire de l’animation tchèque.

Le premier court-métrage présenté, La Berceuse d’Hermína Týrlová, montre un jouet qui prend vie pour amuser et endormir un enfant en bas-âge en l'absence des parents. Le récit ne semble avoir d’autre objectif que d’offrir un spectacle féérique et attendrissant à travers les galipettes des jouets filmés en stop motion. On est dans la continuité logique des origines de l’animation tchèque. Si l’animation américaine s’est principalement développée à travers le dessin animé au service du divertissement des plus jeunes, en Tchécoslovaquie, dans les années 30 et 40, l’animation a trouvé une logique d’expression à partir d’une tradition populaire, celle du théâtre de marionnettes. Forme qui sera par ailleurs amplement utilisée dans la publicité. La plupart des pionniers du genre et de la forme y ont fait d'ailleurs leurs armes. Nombre de films basés sur cette méthode d’animation seront produits au cours du temps, tel Le songe d’une nuit d’été, célèbre film de Jirí Trnka.

Si La Berceuse s’inscrit dans cette tradition, il faut y voir également pour son auteur l’occasion de penser différemment l’animation des marionnettes. C’est notamment perceptible dans la scène où les jouets dansent devant la radio. Plutôt que de mimer la gestuelle de l’humain, la chorégraphie pensée par Týrlová est en accord avec la mécanique de mouvements réalisables par les jouets choisis pour les besoins du film. Leurs différences vis-à-vis de l'humain sont assumées de la même manière que dans Luxo Jr. de Pixar. La berceuse peut se lire comme une synthèse des caractéristiques de l’animation tchèque : origines publicitaires, film placé sous les auspices d'une génération de réalisateurs attachés au théâtre de marionnettes traditionnel et tous habités de la volonté d’expérimenter le potentiel d’un média.

Le second court métrage de La révolte des jouets s'intitule L’aventure de minuit et a été réalisé par Bretislav Pojar. Il est ici question de deux jouets en bois, un train et son chef de gare, qui vivent en harmonie jusqu’à l’arrivée d’un petit train électrique le soir de noël. Ce film-ci, produit en 1960, nous montre une conséquente évolution par rapport à La Berceuse. Si, dans un premier temps, l’histoire est tout aussi innocente, le récit se structure selon des principes plus complexes : variations de tons, personnages à l’humeur changeante et identité des protagonistes marquée et distincte. L’animation tchèque semble, au regard du schéma narratif de L’aventure de minuit, s’être émancipée de son aspect publicitaire pour devenir une réalité fictionnelle. Il n’est d’ailleurs pas impossible que l’histoire de ce train en bois, jaloux d’un jouet plus moderne que lui, ait inspiré John Lasseter pour son Toy Story.

Le dernier court-métrage est celui donnant son nom à ce programme : La révolte des jouets réalisé par Hermína Týrlová. Cette fois, le récit progresse lorsqu'une boutique entière de jouets décide de résister à un soldat nazi. Ce dernier se promène avec une arrogance affichée et n’hésite pas à tenter de détruire tous les jouets du magasin. La raison est simple, l’artisan a fabriqué un jouet qui caricature le führer. Face à l’attitude méprisante du soldat, les jouets décident de lancer la fameuse révolte. S'ensuit donc le chaos. C’est la guerre en miniature. Certes le microcosme a valeur d’exemple mais le fond est à la dérision. Il n’est pas interdit de penser à de célèbres comédies qui, sous couvert de montrer l’insupportable, ont observé comment l’enfance pouvait interpréter les événements vécus. Retour à l’enfance et à son insolence qui maltraite de manière jouissive l’Histoire. Le magique et l’imaginaire exorcisent la monstruosité et  auscultent, sans y paraître, le pire de l’humain.

Avec le recul de l’histoire, les récits prennent plus de sens encore. La révolte des jouets fut produit en 1947, peu après la fin de l’occupation nazie. Combattre l’horreur par le rire et insuffler à nouveau un goût pour la vie dans le quotidien des populations est probablement né, dans l’esprit tchèque, de la même réaction qui, en France, motiva la production de quantité de comédies d’après-guerre. Týrlová, elle, présente le sens du merveilleux tchèque comme une forme d'insolence et de résistance face à l’envahisseur. On notera à cet effet la scène où les jouets déshabillent le soldat pour le destituer des signes de son pouvoir. Quant à L’aventure de minuit, il ne faut pas omettre l’ingérence soviétique installée dans le quotidien de la Tchécoslovaquie depuis un bon moment. Pourrait-on voir dans l’arrivée de ce petit train électrique un symbole des apports modernisateurs du communisme à la nation ? Le chef de gare délaisse son ami, le train de bois, pour ce jouet à l’allure moderne et fascinante mais déshumanisé et sans âme.

Ce trio de courts-métrages illustre ainsi l’idée qu’en Tchécoslovaquie ce qui semble avoir inspiré ces pionniers de l’animation, c’est l’envie d’entrer dans le merveilleux à partir de la magie. Malgré une époque difficile et des débuts modestes, les animateurs semblent chérir l’idée de maintenir le rêve et l’innocence contre vents et marées. Que ce soit sous la botte nazie ou sous l’influence soviétique, l’imagination est la plus puissante et essentielle des forces. Là, se situe le fondement de l’animation tchèque.

Crédit photographique : © Malavida

LA BERCEUSE
Un film d'Hermina Tyrlova • 6'33 • N&B • 1947

L'AVENTURE DE MINUIT
Un film de Bretislav Pojar • 13'13 • couleur • 1960

LA REVOLTE DES JOUETS
Un film d'Hermina Tyrlova 13'46 • N&B • 1946

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