Splitscreen-review Image de La dame sanglante de Viktor Kubal

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Journal de la Petite Lumière J5

Publié par - 20 octobre 2017

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

Aujourd'hui, j'ai eu la chance d'assister à une avant-première assez exceptionnelle. Le film projeté n'était jamais arrivé jusqu'en France. Il avait attisé ma curiosité dès l'instant où j'ai lu son résumé dans le programme du festival. Je n'avais jamais entendu parler de ce film avant ce jour, mais je sentais qu'y assister m'apporterait une vision différente d'un genre qui compte beaucoup pour moi : le film d'animation. Si les dessins animés n'ont pas bercé que mon enfance, je ne pense pas me tromper en pensant que les gens de ma génération, et la précédente, ont été biberonnés à ceux-ci. Entre les cartoons américains, les créations françaises, les Mangas, Walt Disney… Je ne me rappelle pas une journée où ces illustrations n'ont pas défilé devant mes yeux.

Le film d'animation français est, parait-il, très respecté. Mais en me promenant dans la rue, en surfant sur le net ou en allant au cinéma, j'ai tout de même cette impression de marginalité. La french-touch existe, mais à part quelques œuvres franco-belges et des films fortement influencés par le style japonais, je constate peu de diversité. Une certaine monotonie s'installe avec le sentiment de voir trop souvent la même chose. Se présente alors sous mes yeux un film d'animation de 1980, nommé La Dame sanglante, avec pour pays d'origine : la Slovaquie. J'avais entendu parler de dessins animés fait en U.R.S.S. J'y ai même jeté un rapide coup d'œil, découvrant un style plus surréaliste et froid, mais pas dénué d'un certain sens esthétique. Avec ce léger souvenir en tête, je me dis que voilà peut-être l'occasion que j'attendais. Un film d'animation produit dans "l’ailleurs". Ce qui m'intrigue un peu sachant que la Slovaquie est plus proche de nous que le Japon ou les USA. C'est donc avec cette douce curiosité que je m'installe confortablement dans la salle pour assister à ce film d'un certain Viktor Kubal.

Celui-ci avait décidé de conter à sa manière la légende d'Elizabeth Báthory, connu comme l'une des plus grandes tueuses en série de l'histoire. Mais Kubal ne voulait pas croire qu'une personne aussi monstrueuse ait pu naître ainsi. Dans sa vision, teintée de  poésie et reposant sur un merveilleux proche d'une fable, il raconte alors l'histoire d'Elizabeth se faisant sauver de la maladie par un bûcheron. C'est le coup de foudre et la noble dame lui laisse son cœur avant de partir. Mais cet acte, en apparence romantique, scelle son destin en la transformant en monstre incapable d'aimer qui que ce soit. Un sadisme pernicieux et un goût prononcé pour le sang s'empare de la comtesse, qui se lance avec son serviteur dans un massacre dissimulé derrière les murs de son château.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que je ne m'attendais absolument pas à ce que j'ai vu. Le trait simple des dessins donne le sentiment de regarder un livre pour enfant prendre vie. Je comprends alors pourquoi l'invité qui nous a présenté le film, Rastislav Steranka, parlait de croisement des genres. Si le début rappelle les contes de fée façon Disney, noble dame et animaux rigolos, le film prend soudainement un virage inattendu. Rastislav Steranka évoquait une approche expérimentale. J'ai immédiatement compris ce qu'il voulait dire au moment où la dame, trempée par un orage, se déshabille et s'allonge sur le lit en tenue d'Eve. Et cette nudité est plusieurs fois dépeinte au cours du film. Les scènes s'enchainent alors avec des images troublantes, témoignages d'une folie grandissante et d'un monde où la joie disparait petit à petit. La nuit, les personnages sont parfois éclairés de blancs halos, sans qu’il soit possible de distinguer leurs traits. L'obscurité règne. Les ténèbres se sont emparés du monde et de l’univers du film. La comtesse et son serviteur contaminent le monde, poussant les gens à porter le noir ; des serpents se matérialisent d'ailleurs lorsque le serviteur rend l'âme. Tout n’est que métaphore.

Par ailleurs, le film est peu bavard. Une introduction parlée rapide, quelques rires puis des cris et c’est à peu près tout. La narration sonore passe surtout par la musique. Le rythme s'indexe sur l'humeur des personnages. La comtesse est d'abord accompagnée d'airs joyeux mais, après avoir confié son cœur, la musique qui l’accompagne devient plus "torturée" et produite à l’aide d'un puissant orgue. Tout amour a quitté cette femme. Seul reste le Mal, qui ne prendra fin que lorsque la tour cylindrique, future prison de la comtesse, sera achevée et que la dame sera prisonnière de ce cercle sans aspérité, absolument parfait et inévitablement carcéral.

Pourtant, malgré cela, on est marqué par une note tristement positive à la fin. Le récit se termine de manière tragique mais romantique. Le cœur est touché. L'esprit aussi. Ce film a répondu à mes attentes en m'offrant un film d'animation unique par son usage d'une mise en scène étonnante à l'opposé de ce que j'ai l'habitude de voir.

Pour un genre cinématographique encore très souvent considéré comme réservé aux plus jeunes, le parti-pris expérimental de Viktor Kubal se révèle, de ce point de vue, déconcertant. Je prends alors conscience, en voyant l'étonnement que j'ai moi-même vécu devant ce film, alors que j'ai déjà vu des œuvres animées et adultes, que le dessin animé a encore un peu de chemin à faire pour se débarrasser de ce qui l’associe irrémédiablement et presque uniquement au monde de l’enfance.

En attendant, profitons du présent et de ce que demain nous apportera.

Crédit photographique : Copyright D. R.

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