Accueil > Cinéma > The third murder

The third murder

Publié par - 16 avril 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Hirokazu Kore-Eda s’attaque avec The Third Murder à un genre nouveau dans sa filmographie, le polar judiciaire. L’esthétique du film noir y est respectée. Le profond contraste entre ombre et lumière rompt avec l’éclairage naturaliste habituellement présent dans ses films et plus adapté aux drames familiaux. Le récit s’articule autour des nombreuses scènes de parloirs entre le meurtrier présumé récidiviste, Misumi, et le grand avocat, Shigemori. Au fil de l’évolution de l’enquête préliminaire et des témoignages contradictoires de l’accusé, l’apparente impassibilité et le professionnalisme du juriste se trouvent ébranlés. Les propos de Misumi entrent en résonance avec la vie personnelle de l’avocat et déclenchent un questionnement sur ses états d’âmes.

Habitué à filmer des corps évoluer dans l’espace, Kore-Eda se confronte au statisme qu’implique le confinement du parloir. D’abord tenus à distance par la vitre trouée, Misumi et son avocat s’apprivoisent lentement. Plusieurs connexions scénaristiques se tissent entre les deux personnages : Hokkaïdo comme région d’origine, la démission de leur rôle de père auprès de leurs filles respectives... Des ressemblances qui seront signifiées formellement par la caméra : passage sur le profil du personnage et positionnement au niveau de la vitre faisant physiquement disparaître la frontière qui existait entre les deux parties. Cette barrière tombée, les visages se rapprochent et leur réflexion sur la paroi provoque un jeu de surimpression évanescent qui suppose la pénétration de la pensée du client dans l’esprit de son avocat. Usage d'un procédé filmique qui évoque Lang et la figure du Docteur Mabuse lorsqu’il exerce ses pouvoirs d’hypnose et de suggestion sur ses victimes. Plus proche de nous, ce phénomène d'emprise psychique a été utilisé dans Le silence des agneaux pour signifier l’ascendant pris par Hannibal Lecter sur la juvénile recrue du FBI Clarice Starling.

À la manière d’Otto Preminger dans Autopsie d’un meurtre, la procédure judiciaire qui est au cœur de The Third Murder se termine alors que la vérité sur l’intrigue n’est révélée ni aux spectateurs ni aux acteurs. Le flou existant autour de l’homicide permet à Kore-Eda de pointer les failles du système judiciaire japonais qui progresse indépendamment de la vérité des faits. L’inéluctabilité de la peine de mort, encore en vigueur au Japon, devient réelle lors de l’ultime scène de huis clos entre les avocats, la procureure en charge de l'affaire et le juge. Peu importe le changement soudain de positionnement de l'accusé, qui plaide maintenant non coupable, l’entente tacite autour de la sentence funeste est avérée. Il s'agit à présent d'aller au bout du procès le plus rapidement possible afin que cela ne coûte pas trop cher au gouvernement. La jeune procureure aura beau réclamer le lancement d'un nouveau procès, elle acceptera docilement le consensus autour de la décision finale une fois que son ainé lui aura chuchoté quelques mots à l'oreille.

En 1963 Akira Kurosawa, dans Entre le Ciel et l’Enfer, dénonçait les conséquences du capitalisme d'après-guerre sur la société moderne en mettant en scène un criminel rendu fou par le vain combat mené contre la classe supérieure. Bien que la filiation entre le film de Kurosawa et celui de Kore-Eda soit évidente (utilisation du format scope, dimension documentaire du système judiciaire et dilemmes moraux des personnages) il convient de considérer l’élément narratif qu’introduit Kore-Eda avec l’irruption soudaine du père de Shigemori dans le déroulement du récit. Il est le juge qui a gracié Misumi 30 ans plus tôt. Les raisons évoquées sont précisément les mêmes que celles présentes dans le film de Kurosawa : il est le lien de causalité entre les origines sociales et les manifestations barbares. Cependant, Shigemori père regrette de ne pas avoir condamné Misumi 30 ans plus tôt à la peine capitale sous prétexte que sa décision reposait sur un principe moral rendu caduque par l'évolution du système judiciaire. Des regrets qui ont pour conséquence de confronter son fils à une épreuve existentielle.

Le procès terminé, Shigemori retrouve Misumi au parloir pour un ultime échange. Alors qu’il croit celui-ci innocent, il lui demande d’affirmer qu’il n’est pas uniquement une coquille vide en proie à de basiques pulsions meurtrières. Ce dernier lui retourne sa question  : « mais qu’est ce qu’une coquille vide ? ». Ce qui aura pour effet de le renvoyer strictement à son métier d’avocat. Un rôle qui lui permet de s’ancrer dans la société mais qui participe, par la même occasion, de sa collaboration à la mécanique judiciaire. Une fonction sociale à laquelle le résume aussi sa propre fille qui semble y trouver, lorsqu’elle s’attire des ennuis, le seul trait d'union possible avec son père. Alors que Shigemori a approché l’illusion de vérité et de justice que représente la possibilité de jugement équitable d'un individu dans un état de droit, le film se termine sur un plan aérien. Réel écho au plan d’introduction, le point de vue céleste traduit une forme de fatalisme et ancre définitivement le personnage dans son environnement. Le voilà dépourvu de toute capacité de réaction ou d'abstraction, il devient victime.

Partager

à lire aussi