Accueil > Cinéma > La Beauté des choses

La Beauté des choses

Publié par - 26 janvier 2020

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Pour commencer cette nouvelle décennie, Malavida propose une restauration du dernier film de Bo Widerberg : La Beauté des choses. Le film fut récompensé par un Ours d’argent à la Berlinale de 1996 et nommé la même année aux Oscars dans la catégorie meilleur film en langue étrangère. Dans son dernier film, Widerberg met en scène son propre fils, Johan, et explore le processus d’émancipation qu’est l’adolescence. Ce moment de grands changements dans lequel la perception parfois enfantine de la vie se heurte à la réalité du monde adulte. Nous partageons la perception de Stig, un jeune homme , suédois, écolier à Malmö (la plus grande ville du sud de la Suède, limitrophe au Danemark) en 1943.

La thématique de l’émancipation est abordée dès la première séquence avec un texte déroulant et une voix-off. L’ouverture sur ce texte qui donne la définition de ce qu’est l’adolescence en termes cliniques (changement du métabolisme, flux d’hormones, pousse des poils pubiens) est alors comparée au réel : une classe de garçons. Cette ouverture illustre bien l’aspect hybride, entre deux âges, de l’adolescence. Les changements métaboliques et l’apparition du désir deviennent une extension de leurs jeux. Ils parient sur la longueur de leur poils pubiens, spéculent sur le nombre de va-et-vient moyen qu’un homme peut faire lors d’un rapport sexuel. Il y a ainsi encore le regard presque infantile sur cette grande inconnue qu’est la sexualité. Le caractère frivole de ces activités est d’ailleurs mis en avant dans la mise en scène qui privilégie des plans de groupe de courte durée. Ce qui compte, c’est l’ensemble de la bande qui fait passer de bouche en bouche le chewing-gum.

 

Pour Stig, tout va changer avec l’arrivée de la nouvelle enseignante, Viola. Le regard amusé et curieux de Stig devient rapidement une forme d’admiration, un appel du désir. Les plans s'allongent et se resserrent sur des parties du corps de Viola telles que sa nuque ou ses jambes. Cet appel au changement est aussi convoqué par différents éléments tels que le décor où se trouve une représentation de la résurrection de Lazare ainsi que la récurrence de l’aria de Haendel « Lascia la spina, coglia la rosa » (Laisse l’épine cueille la rose). Très vite, cette relation sublimée entre l’écolier et son professeur se concrétise en une découverte du plaisir de la chair.

La Beauté des choses peut se distinguer du schéma presque canonique de la passion partagée entre un enseignant et son élève car la trame ne s’arrête pas à cette phase de la passion. Certes, celle-ci déconnecte presque les amants de tout ce qui les entoure mais l’euphorie vient toujours à s’estomper et laisse pénétrer le réel.

Ce réel, c’est avant tout l’arrivée de Frank, le mari de Viola, représentant de commerce, alcoolique et fantasque. Frank surprend très vite Stig dans son appartement et suppose que Viola fait des cours particuliers d’anglais. De cette rencontre va émerger une amitié entre les deux hommes et faire découvrir à Stig le véritable caractère de Viola et l’ambiguïté morale de cette relation amoureuse. L’enseignante commence alors à instituer un rapport de domination avec Stig qu’elle entretient depuis longtemps avec Frank. De son coté, Frank lui fait découvrir la beauté qui dépasse la plastique et notamment celle de la musique, le moyen par lequel il s’évade de sa souffrance. Chaque morceau de musique posé sur la platine renseigne sur le stade où se trouvent les deux hommes. Quand il apparaît pour la première fois, Frank écoute la Passion selon Saint Mathieu de Bach et marque la fin de l’idéalisation de Viola. Plus tard, lorsque la situation commence à dégénérer, le jeune homme viendra voir le mari bafoué en train d’écouter le morceau Kindertotenlieder de Gustav Mahler qui se traduit littéralement : la mort des enfants.

L’émancipation de Stig se traduit aussi par un autre réel qui est l’Histoire. Bien que périphérique à la trame, la guerre est omniprésente dans la vie quotidienne des jeunes de Malmö. Bo Widerberg représente dans ce film la guerre au travers du regard adolescent. Elle est présente mais lointaine. Les avions de chasse sont toujours hors-champ ou au-delà d’un grillage en amorce. Pour des filles enamourées de Stig, les informations qui viennent d’un poste de radio ne sont rien de plus qu’un outil linguistique pour apprendre l’accent de Stockholm.

Pour Stig, la guerre devient vite une inquiétude pour son grand frère, Sigge, qui est engagé dans la marine suédoise et en partance pour une mission en submersible. Il est d’ailleurs intéressant de voir comment cette prise de conscience est progressivement représentée par le son et la musique. L’une des scènes les plus marquantes se trouve au milieu du film lorsque Stig et Frank écoutent en même temps un requiem et un discours radiophonique d’Hitler et que l’alcoolique répète plusieurs fois « C’est la même langue, cela n’a pas de sens ».

Dans La Beauté des choses, Bo Widerberg propose une réelle réflexion sur ce qui pourrait définir ce mouvement émancipatoire qu’est l’adolescence. De manière très superficielle, le rite de passage est évidemment la découverte du désir sexuel, du fantasme et des différents moyens de l’assouvir. Néanmoins, quand on l’ausculte plus profondément, c’est également une renonciation à un monde protégé de l’extérieur, idéalisé, qui est remplacé par la capacité de l’être humain à faire face au réel et aux responsabilités qu’il implique.

Crédit photographique : ©Malavida

Partager

à lire aussi