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Tom Foot

Publié par - 10 juin 2021

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Cet été, Malavida continue de diffuser l’œuvre du réalisateur Bo Widerberg. Le 9 juin est sorti en salle  l’un de ses films les plus singuliers : Tom Foot. Après la grande épopée américaine de Joe Hill, Widerberg revenait dans les rues de Stockholm et filmait l’histoire d’un jeune prodige suédois de six ans dont le talent footballistique lui permet d’intégrer l’équipe nationale.

La scène d’ouverture du film est la réinterprétation d’une anecdote vécue par le cinéaste. Dans cette scène, on voit l’un des joueurs de l’équipe nationale, Mackan, qui arrive en grandes pompes dans un quartier populaire de Stockholm. Voiture et vêtements luxueux, l’homme admire son nom sur toutes les unes des journaux qui font l’éloge de son talent lors du dernier match face à l’Allemagne. Sur le chemin qui le mène chez sa fiancée, le professionnel signe des autographes, salue les fans et s’arrête au milieu d’une bande d’enfants qui jouent au football. Mackan joue avec les gamins, jusqu’à ce qu’un petit garçon, Johan Bergman, le dribble en quelques coups et provoque chez le joueur l’effet d’un électrochoc.

N’arrivant plus à se remettre de l’humiliation, le joueur confesse cet événement à son agent. Ce dernier n’hésite pas longtemps avant de proposer au petit garçon de devenir footballeur. Le film devient alors une forme de fable surréaliste dans laquelle, en quelques matchs, le jeune garçon devient la coqueluche de l’équipe de Suède et un membre essentiel de leur réussite. Widerberg prend de la distance avec le caractère vraisemblable de l’intrigue et se sert de l’insolite pour soulever un questionnement plus général sur l’enfance et le rapport de celle-ci au monde des adultes. En effet, les films de Widerberg sont souvent plus tournés vers l’adolescence (ou les jeunes adultes) qui se confronte aux réalités du monde. Des réalités parfois dures, compliquées qui étaient autrefois dissimulées sous le voile de l’innocence (La Beauté des choses, Le Péché suédois). Ici, il y a ellipse. Point de rite de passage. L’enfant est plongé sans transition dans le monde des adultes. Par conséquent, on se demande jusqu’à quand l’innocence sera préservée.

La frontière entre les deux âges s’efface, les événements alternent entre éléments propres à l’enfance et des problématiques d’adultes. Par exemple, les rencontres de l’équipe de Suède sont représentées de deux manières différentes. Il y a la représentation « usuelle » d’un match de football, soit une caméra qui panote en fonction de la direction que prendra la balle. Cependant, cette représentation est ponctuée de passages en caméra subjective (le regard du garçon), qui suit la balle et navigue en rase-motte entre les joueurs de l’équipe adverse. Cette manière de filmer offre une perspective très singulière sur le jeu et sa nature. Non seulement le cinéaste nous permet de changer de point de vue mais il joue aussi sur la symbolique associée aux positions de caméra. Au contraire de Mackan (le joueur de la scène d’ouverture), Johan porte sur le sport un regard innocent, le foot reste à ses yeux un jeu. Son regard n’est pas tourné vers les vanités qui entourent le football (célébrité, gloire…).

Le cinéaste développe d’ailleurs ce clivage dans la trame générale du film entre les deux milieux. D’une part, de nombreuses compositions de plans accentuent ce paradoxe comme les travellings sur les minuscules chaussures à crampons au milieu de paires de taille adulte, l’agent sportif de Johan qui apparaît constamment à l’écran avec un ours en peluche dans les mains ou encore les prises de vues de l’équipe cadrées sur Johan, ce qui place la tête des autres joueurs hors champ.

D’autre part, on remarque que l’absence de frontière entre les âges provoque un débordement de chaque milieu dans l’autre. Les journalistes et paparazzi n’hésitent pas à entrer dans une salle de cours élémentaire pour prendre en photo Johan et l’interviewer. De la même manière, à chaque nouveau match qui implique un déplacement, les coéquipiers de Johan sont chargés de lui lire une histoire avant le coucher ou de lacer ses chaussures dans les vestiaires. Bien que les situations participent au fond comique du film, elles démontrent également le déséquilibre d’un enfant qui, bien que prodigieux sur le terrain, ne maîtrise pas encore des savoir-faire élémentaires tel que la lecture.

 

Au travers de cette sorte de fable, on peut supposer que Bo Widerberg note l’importance de cette période si particulière où l’enfant se doit d’expérimenter ce qui l’entoure à son rythme, cette période si importante qu’est l’innocence chez l’enfant. Le cinéaste expose d’ailleurs ce point de vue dans la trame du film par quelques petits intermèdes où Johan observe avec émerveillement la croissance d’une portée de chatons dans une ferme ou lorsqu’il découvre la mesure des poids sur une vieille balance. Ces petits passages simples et touchants rappellent que le passage de l’enfance à l’âge adulte ne se limite pas à une progression dans la performance mais est également une succession d’étapes et de découvertes des « choses de la vie ».

Crédit photographique : © Malavida

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