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Traverser - Exposition Raymond Depardon
Publié par Pierre Raphaël - 3 novembre 2017
Catégorie(s): Expositions / Festivals, Photo
La fondation Henri-Cartier Bresson à Paris propose jusqu’au 24 décembre, Traverser, une nouvelle exposition consacrée au travail photographique de Raymond Depardon. Cette exposition est, pour les néophytes comme pour les fins connaisseurs du travail du photographe, cinéaste et poète, une merveilleuse plongée dans ses obsessions et thématiques, avant la sortie en salle le 29 novembre de son prochain film, 12 jours.
L’écoute de soi
Traverser est un voyage introspectif réunissant dans les deux petites pièces de la Fondation soixante années de travail pictural. Les photographies s’articulent autour de quatre axes, autant de facettes de la personnalité de son auteur : la terre natale, le voyage, la douleur et l’enfermement.
Sa terre natale, c’est celle de la ferme du Garet à Villefranche-sur-Saône. Depardon n’a cessé de la filmer et la photographier non sans une pointe de regret : « A seize ans, j’avais devant moi une de ces fermes merveilleuse comme il n’y en a plus aujourd’hui (…) Je me suis rendu compte en regardant le travail de Walker Evans - que j’admire tant - que j’aurais pu faire avec la campagne de mon enfance l’équivalent du travail qu’il a fait avec la dépression des années trente aux Etats-Unis. » Qu’il se rassure, devant les premiers clichés de l’exposition consacrés à la ferme du Garet, c’est l’exact sensation qui s’en dégage. Nous sommes devant un trésor, une machine à remonter le temps vers une France que nous connaissons ou que nous imaginons tous, un témoignage précieux de l’histoire rurale de notre pays. Chez Walker Evans comme chez Raymond Depardon, le photographe devient le rapporteur de la transformation et de la mémoire de son pays, de sa région, de son village, des habitants, de sa propre maison.
Dès la première photo de l’exposition, l’auteur ouvre une porte et nous invite, privilège immense, à pénétrer dans cette maison, jardin secret de son enfance. Ce cliché, c’est l’origine de la vie, du moins celle de Raymond et de son frère Jean, la chambre parentale. Sur cette photo transparait le désir de comprendre. D’où viens-je ? Qui suis-je ? Quelle est mon origine ? Le photographe questionne en noir et blanc les murs qui l’ont vu grandir.
Rapidement un premier élément visuel accentue une sensation fortement présente : l’enfermement. Les ombres sur les pierres fissurées de la ferme parentale semblent enfermer le jeune homme dans un destin tout tracé. Tout est immobile, figé, la fuite parait impossible. Seuls les poules et le cheval de la ferme semblent capables de liberté de mouvement. La suite de la visite nous le prouvera, le mouvement sera un élément récurent dans les clichés de Depardon.
L’écoute de l’autre
Mauritanie, Vietnam, Tchad, États-Unis, Angola et une grande partie de l’Europe, Raymond Depardon ne tient pas en place. Sa quête est mouvementée, éprise par le voyage, ne pas rester enfermé. Il s’intéresse aux nomades, aux combattants, aux fous, aux prisonniers. Tous ces pays, toutes ces cultures, tous ces habitants. Des liens se tissent, malgré lui, entre les peuples et les pays. Le fou devient prisonnier, le combattant Tchadien rejoint le Liban, le fermier nomade continue sa longue route dans le désert. On pense très vite à ce que disait Racine dans la préface de Bajazet : « L'éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps, car le peuple ne met guère de différence entre ce qui est, si j'ose ainsi parler, à mille ans de lui, et ce qui en est à mille lieues. »
Pourtant Depardon ne se sent pas réussir en image ce que Racine décrivait. A ce propos il dit : « Je ne veux pas rapprocher des peuples qui n’ont rien à voir ensemble. La seule chose que je peux rapprocher, c’est ma façon de voir. » Néanmoins, l’ensemble de ces photographies nous font automatiquement penser le contraire. L’enfermement n’est-il pas le même entre l’asile et la prison ? Le visage de la guerre ne transmet-il pas la même douleur, peu importe son origine ? C’est parce que Raymond Depardon est à l’écoute de tous et de toutes souffrances, que malgré lui il répare la trop grande proximité des temps.
Trajectoire
Cette exposition est une véritable leçon de cadrage, une leçon de point de vue, de discrétion.
Devant un extrait de son film Journal de France, présenté dans l’exposition, Depardon filme le boulevard Saint Michel et ses badauds, deux étudiants se questionnent et parlent à voix haute : « Il se fout complètement du droit à l’image, il agresse les gens avec sa caméra. »
C’est faux bien entendu. Raymond Depardon est un discret voyeur professionnel. Personne ne le voit et personne ne voit comme lui. En tant que photographe, il est libre. Libre de voir la beauté où il veut et de la filmer comme bon lui semble. Il voit le monde pour nous et souvent la douleur que ce monde enfante. Il l’enferme dans son cadre, il la sélectionne. En admirateur d’Eisenstein, son cadre dit tout, il est cosmogonique. Le hors champs se fait discret, reste l’élégance du cadre, son empreinte. A travers ses nombreux voyages et médias utilisés, photos, cinéma et écriture, il ne fait pas que « traverser » les pays et son époque. Toujours en pleine activité, Raymond Depardon laisse en nous son empreinte.
Crédit photographique :
Haut de page : Park-Avenue,-New-York,-1981-©-Raymond-Depardon--Magnum-Photos
Affiche : Îles-Dahlak,-Érythrée,-1995,-©-Raymond-Depardon--Magnum-Photos
Vignette : Allemagne-(ex-RDA),-1990-copyright-Raymond-Depardon-Magnum-photos