Ce qui est passionnant avec le nouveau film de Frederick Wiseman, Ex-Libris The New York Public Library, édité cette semaine par Blaq Out en DVD, c’est la manière dont le film creuse la question de l’identité nord-américaine. Car le film, comme d’autres précédentes œuvres de Wiseman (In Jackson Heights par exemple), expose une multiplicité des profils humains qui, par adjonction des diversités en présence, constitue le portrait d’une société. Société qui, à l’origine, reposait sur l’intégration de différentes ethnies et communautés à un idéal commun. L’idée première était la création d’une civilisation affranchie de tous les défauts qui parasitaient celles qui lui préexistaient.

Autrement dit, l’Amérique, historiquement ou observée sous l’angle du mythologique, est un territoire qui se définit par l’apport de chacun à un nouveau monde. Un monde qui se caractérise par la singularité des diverses cultures qui pénètrent son territoire géographique. Cultures qui sont toutes animées par la même motivation : s’inscrire dans une destinée humaine qui transformerait une utopie en réalité.

Le film, de ce point de vue, est l'observation d’une société contemporaine qui est le fruit de la rencontre entre l’utopie première et le réel. Même si ce n’est pas le sujet apparent, c’est en tout cas ce que dessine Wiseman, à force de séquences, dans Ex-Libris The New York Public Library. Les différentes strates qui composent la société US semblent en apparence indépendantes les unes des autres alors que le film prouve le contraire. Ce qui se démontre, dans Ex-Libris The New York Public Library, c’est l’évidence de l’interdépendance des ressources humaines comme en témoigne la réunion préparatoire au dépôt de demande de subventions municipales.

Tout se rejoint : personnel de la New York Public Library, administrateurs, donateurs, conférenciers et, bien sûr, le public utilisateur et bénéficiaire des services et missions de la New York Public Library. Si un des composants de cette interdépendance sociale est ôté du schéma d'Ex-Libris The New York Public Library, la société et le film semblent voués à s’effondrer.

Ex-Libris The New York Public Library, dans sa conception « chorale », rejoint cette notion du fondement et des origines. Le film prend inévitablement, au regard des élections de 2016, une dimension politique même si la question n’est pas directement abordée. Il est impossible d’observer ce qui se définit et qui se prouve sur l’écran sans penser aux principes d’exclusion ou de rejet des diversités prônés par l’administration actuellement au pouvoir.

Il y a également l’objet d’une contradiction que le film installe sans y paraître : l’universalisme inhérent aux États-Unis s’est mué, par la simple logique du concept, en stigmatisation de ce qui différencie les individus les uns des autres. Dès la première scène du film, les propos de Richard Dawkins donnent le ton. Ils soulignent le dysfonctionnement social que nos sociétés occidentales vivent aujourd’hui. Car, les principes sociaux et politiques qui nous gouvernent, dans leur dimension ontologique, portent déjà les germes des contradictions et des problèmes qui contaminent nos civilisations contemporaines.

Telle que présentée par Wiseman, la New York Public Library, et ses multiples ramifications dans la ville, sert d’écrin à la préservation de l’utopie première. Les différences entre les individus qui la fréquentent sont manifestes mais l’espace propose l’accession à un savoir universel, à une écoute, un soutien et surtout à de multiples services destinés à tous sans distinction de culture, de croyance ou de couleur de peau. Fort éloigné des principes mis en avant par l’administration Trump, Wiseman nous propose un film où il devient évident que se joue, à mille lieux du terrain médiatique, une réalité politique qui agit durablement sur le citoyen quel qu’il soit. Wiseman, le bien nommé, filme le contraste et la réunion de la liberté individuelle et de l’appartenance à un corps social.

On notera à cet effet l’importance du montage qui unit ce qui est en apparence désuni. Il crée des associations d’idées, distingue des dichotomies et surtout, par assimilation des situations filmées, nous offre un portrait instantané de l’état de la société US. La vision, l’idée, l’opinion naissent dans le cumul des séquences. Avec Ex-Libris The New York Public Library, vision microcosmique de l’Amérique, Wiseman permet au spectateur, de manière inconsciente, d’approcher au plus juste les réalités sociales et politiques de l’Amérique. Admirable.

Si la qualité des images est au rendez-vous sur ce DVD, on ne pourra que regretter l'absence de compléments. Cela s'explique sans aucun doute par la durée du film (197 minutes) qui ne laisse guère de place à d'autres images.

Crédit photographique : ® 2017 Ex Libris Films, LLC. Tous droits réservés. Avec l'autorisation de Zipporah Films, Inc. / ©Météore Films